PETITE HISTOIRE DES GRANDS PHARES CORSES

PETITE HISTOIRE DES GRANDS PHARES CORSES

Source : http://accademiacorsa.org/?page_id=131

I / L’histoire des phares débute dit-on en Méditerranée, dans l’antiquité. A preuve le mot phare qui vient de l’île Pharos, située au large d’Alexandrie, et sur laquelle fut édifiée par Ptolémée, père et fils, trois siècles avant notre ère, la tour de Pharos ou phare d’Alexandrie, haute de 60 mètres et septième merveille du monde antique.

L’histoire des phares en Corse est beaucoup plus jeune. S’il est acquis qu’en sus de leur fonction de protection contre l’envahisseur de tous poils, les tous génoises étaient éclairées la nuit de feux en leur sommet, la véritable histoire des phares corses, tels que nous les connaissons actuellement, remonte au 19ème siècle, avec un retard certain par rapport au contient.

C’est en 1792, au temps de la Révolution française, qu’est créé le service des Phares et balises, service qui centralisait l’activité entière. Aux termes d’une loi du 15 septembre 1992, le ministère de l’intérieur se charge des travaux de construction, celui de la Marine de l’entretien des établissements. Et aussitôt, vers 1800, une vingtaine de phares éclairent comme par enchantement les côtes de France.

Napoléon lui-même contribua à cette action et créa le 7 mars 1806 l’administration centrale des phares et balises placée sous l’autorité des Ponts et Chaussées. En 1811, cette administration s’enrichit de la Commission permanente des phares chargée plus globalement des questions relatives à la technique de l’éclairage du littoral. C’est François ARAGO, brillant savant de l’époque, qui en assure la direction et désigne Augustin FRESNEL à l’effet de rénover la signalisation des côtes françaises.

La Corse eut, comme souvent, un temps de retard à telle enseigne qu’il fallut attendre une loi du 14 mai 1837 pour que le ministère des travaux publics s’intéresse à elle. Cette loi fut immédiatement suivie de la constitution d’une commission le 3 avril 1938, à l’effet de baliser les rivages corses. Présidée par le capitaine de vaisseau DE COFFRE, la commission eut pour mission de sillonner le littoral corse afin de déterminer le nombre et l’emplacement des phares à construire pour sécuriser les rivages de l’île. 

A bord du navire la Chimère, les membres de cette Commission partirent d’Ajaccio pour déterminer l’emplacement du 1er phare, évidemment aux îles sanguinaires, puis firent le tour de la Corse en descendant vers les bouches de Bonifacio pour remonter ensuite la plaine orientale, vers le cap corse. La mission de cette commission se termina en juin 1838, et 5 emplacements de phares, dits grands phares, furent décidés.

II/ Décrivons-les sommairement : 

– le phare des sanguinaires d’abord, implanté dans l’archipel des sanguinaires, plus précisément dans l’îlot dit de la grande sanguinaire ( mezzu mare ) . Edifié sur un îlot de 80 mètres de hauteur, le phare culmine à 18 mètres, la construction dura 6 années d’avril 1838 au 1er décembre 1844. La portée du feu est de 50 km.

– en suivant le chemin emprunté par les membres de la Commission, nous trouvons ensuite le phare de Pertusato, mis en service le 15 novembre 1844 sur un monticule de 100 mètres, avec une hauteur de phare de 16,50 m pour une portée de 42 km. Les Bouches de Bonifacio présentent en effet de grands risques en raison des écueils, de l’importance de la navigation et de la fréquence du mauvais temps, ce passage resserré entre la Corse et la Sardaigne provoquant un effet d’entonnoir où les vents violents s’engouffrent venant à la fois de l’est et de l’ouest, raison majeure pour laquelle l’implantation de ce phare fut décidée.

– le phare de la Chiappa ou phare de Porto Vecchio dont l’édification a commencé en 1839 et s’est terminée en 1845. Un phare construit sur un promontoire s’élevant au dessus de la mer à 65 mètres, avec une hauteur de phare de 18 mètres et une portée du faisceau lumineux de 42 km

– un phare imposant encore, celui de la Giraglia, implanté sur l’îlot du même nom, à la pointe du Cap corse. Pour les génois déjà, cet emplacement présentait un intérêt stratégique puisqu’il est le passage obligé entre les mer Méditerranée et mer Thyrrénienne, et qu’une tour y avait été édifiée dès 1585. La construction de ce phare, lente et difficile ( les matériaux étaient acheminés de Bastia en bateaux, puis montés au sommet de l’îlot à dos d’âne ) a duré 10 ans. Le phare est posé sur une assise carrée ( comme bien des phares d’ailleurs ) laquelle est surmontée d’une tour circulaire de 26 mètres de hauteur

– le 5ème et dernier phare dit de premier ordre, le phare de la Revellata, à Calvi, dont la construction commença en 1838 et s’acheva le 1er décembre 1844. De manière classique, c’est une tour carrée, centrée sur un soubassement rectangulaire, avec une hauteur de 100 mètres environ au dessus du niveau de la mer. Sa potée est de 50 km. 

III / Cette 1ère vague de grands phares va être suivie d’une seconde vague de construction de phares dits intermédiaires ou de second ordre en raison de leur portée plus limitée ou de leur hauteur moins élevée. 

Citons, par ordre de date d’achèvement des constructions, les phares suivants :

– le phare de Madonetta, situé dans l’entrée du goulet de Bonifacio, qui, construit sur une falaise de 28 mètres, a une hauteur de 11 mètres, pour une portée de 7 milles. il fut achevé en 1854

– puis le phare de la Pietra ou phare de l’Ile-Rousse, édifié en 1854, sur un promontoire de 64 mètres et d’une hauteur de 13 mètres

– puis le phare Alistro allumé en 1864 sur la commune de San Giuliano vers Aleria. La commission des phares en 1838 n’avait pas éprouvé le besoin d’implanter un phare le long de la côte orientale de l’île, d’abord parce que le relief n’y est pas accidenté, ensuite par souci d’économie. En 1864 cependant, ce besoin se fit ressentir, et ce phare fut édifié avec la particularité d’avoir été construit à l’intérieur des terres, à 2 km de la mer, pour trouver un terrain suffisamment surélevé par rapport à la mer : construit sur un promontoire de 96 mètres, le phare culmine à 27 mètres de hauteur, pour une portée de 42 km. 

– vient ensuite le phare des Lavezzi dont la construction s’est terminée en 1874. Elévation 28 mètres et hauteur du phare de 12 mètres, avec un feu de portée de 27 km. Ce phare fut le bienvenu puisqu’il répondait au naufrage particulièrement dramatique du navire la Sémillante qui acheminait 900 soldats français en terre de Crimée pour prêter main forte aux soldats britanniques opposés aux russes. Ce naufrage, survenu en février 1855 précisément aux îles Lavezzi, causa la mort de 700 soldats et hommes d’équipage. Mais ce phare n’empêcha cependant pas celui de l’Evènement du 21 janvier 1893, un des cinq paquebots-poste appartenant à la société Morelli et assurant le service de livraisons de marchandises Bastia-Bonifacio-Ajaccio, qui coula contre ces mêmes rochers.

– viennent ensuite dans le golfe de Saint Florent, en plein désert à l’écart de toute route, les phares de Mortella inauguré en 1877 ( hauteur de 14 mètres pour une portée de 15 km ) et le phare de Fornali ( hauteur de 11 mètres pour une portée de 10 km ) inauguré un an après, le 1er octobre 1878.

– vient enfin le phare de Senetosa, vers Sartène, dont la construction fut achevée le 15 mai 1892. 54 mètres d’élévation au dessus du niveau de la mer pour une hauteur de phare de 14,50 mètres, avec une portée lumineuse de 40 km. La construction entreprise sur les dessins et plans de l’architecte ZEVACO dura quatre ans. Ce phare n’est pas un phare classique. Ressemblant à un petit château fort, il est composé d’un grand corps de bâtiment, réalisé en pierre de taille, encadré par deux tours d’angle de 15 mètres de haut dont l’une abrite en son sommet la coupole et la lanterne du phare, l’autre tour ne portant que des écrans rouges destinés à signaler les directions dangereuses : la pointe et les dangers de Latoniccia et les écueils des moines. 

Ce phare de Senetosa est cependant insuffisant pour assurer la pleine sécurité des navires venant des Bouches de de Bonifacio et remontant la rive occidentale de la Corse. Et la décision fut prise en 1906 d’édifier un phare protégeant de l’écueil des moines dans le voisinage du Lion de Roccapina. Rappelons-nous le naufrage du Tasmania, superbe trois-mâts aux couleurs britanniques, qui transportait ce 17 avril 1887 300 passagers partis de Bombay et remontant la côte occidentale de la Corse pour se rendre à Londres assister au jubilé de la reine Victoria, avec dans sa soute un trésor de 25 millions de franc or offerts par le maharadjah à la reine. Il y eut quelques victimes, la plupart des passagers furent sauvés, sur l’intervention dit-on des bergers de Roccapina qui vinrent leur porter aide et assistance. La construction de ce phare des Moines fut difficile dans la mesure où il est implanté sur un îlot situé à 4 km du rivage, qui n’émerge jamais, les fondations ayant du être réalisées plusieurs mètres sous la mer. Le phare des moines est une tour cylindrique de 31 mètres de hauteur et son feu porte à 21 km. 

Je passe sur les petits phares, toutes proportions gardées, comme le phare du Cap Feno édifié en mai 1874 situé à proximité de Bonifacio et implanté entre le phare des moines et le phare de Pertusato, pour une hauteur de 12 mètres ; et encore le phare de Pecorella qu’on n’appelle même pas phare ni tour mais tourelle mais qui s’élève tout de même à 14 mètres au dessus du niveau de la mer ; je passe aussi sur le phare de Saint Cyprien, bien qu’il soit un très joli petit phare, construit en 1890, avec son toit en pente douce et en tuile et sa tour clocher se terminant par une lanterne située à 13 mètres du sol, et qui ressemble plus à une chapelle qu’à un phare, mais sa portée est néanmoins de 20 km. Tout comme le phare du Cap Muro situé entre les golfes d’Ajaccio et du Valinco, qui fut construit en 1927 

Je n’ai pas parlé des phares d’Ajaccio ou de Bastia, car il ne s’agit pas à proprement parler de phares. Il s’agit surtout de feux pour marquer l’entrée du port. Le phare d’Ajaccio – la citadelle date de 1851. A Bastia, le feu de la jetée du Dragon fut inauguré le 27 décembre 1861, celui du musoir du môle le 1er mars 1863.

IV / Ce rapide panorama des phares étant réalisé, tout le monde à l’époque s’accordait pour bien cerner l’utilité que ces ouvrages présentaient, non seulement parce qu’ils avertissaient le navigateur du danger de la côte, mais encore parce qu’ils l’informaient de sa localisation. A l’époque, point de radar ni de localisation par satellite ou GPS, et chaque phare en effet a sa carte d’identité ou son ADN, et selon la nature de l’illumination qu’il émet, l’on sait précisément où l’on se trouve. 

Mais plus encore cette politique globale de balisage des côtes a pu être mise en œuvre grâce à l’invention d’Augustin FRESNEL polytechnicien et ingénieur, sur les lentilles qui portent son nom et dont on peut voir un exemplaire à la Gare maritime d’Ajaccio. 

Si à l’origine, l’on se contentait de feux de bois allumés au sommet de falaises, puis au sommet de tours construites en partie à cet effet, le bois fit place au charbon, puis à la lampe à huile. Il s’agissait alors d’une lampe à huile enfermée dans un réflecteur parabolique en métal mais d’une efficacité très limitée quant à la portée du rayon de lumière. Et c’est Augustin FRESNEL qui proposa le remplacement de ces lampes par des lentilles à échelon. Le principe est peut-être simple, encore fallait-il le trouver. Par un astucieux système de miroirs convexes ou autres, les rayons lumineux se concentrent sur un même plan, tous les rayons sont parallèles et se propagent le long d’une direction unique, multipliant par 4,5 millions l’intensité lumineuse ainsi émise.

V / Dans le même temps, puisqu’il est mis en place une véritable politique du balisage de nos côtes, un véritable statut des gardiens de phares va voir le jour. 

Si à l’origine la surveillance des phares principaux du continent était confiée à une entreprise privée, dirigée par Pierre TOURTILLE-SANGRAIN, qui avait pour mission essentielle de nommer les gardiens des phares et d’assurer leur fonctionnement par la fourniture de combustible, ce mode de fonctionnement va être avalisé, par souci de facilité, par une loi du 15 septembre 1992, retenant la même organisation : l’entretien et la bonne marche des phares étaient donc confiés par le Ministère de la Marine à des sous-traitants d’ordre privé. Mais rapidement est née l’idée de codifier plus sévèrement ce choix ou cette désignation. D’abord parce que de nombreux phares étaient édifiés, ensuite parce qu’il est apparu que l’entreprise privée en charge de l’entretien et de la gestion du phare pensait plus à engranger des bénéfices ( en choisissant un personnel de gardien peu qualifié, donc en le sous-payant ) plutôt qu’à assurer un parfait fonctionnement des phares. C’est ainsi qu’une charte des gardiens fut établie, par Leonos FRESNEL, directeur du service des phares et fanaux, qui en 1835 rédige les 1ères instructions pour le service des phares lenticulaires en Manche ( alimentation du phare, entretien des lentilles … etc ), instructions étendues à tout le littoral à compter de janvier 1849. 

Cette 1ère charte cependant confie toujours la livraison du combustible à des entreprises privées, mais le choix des gardiens échappent à leur compétence. Ces gardiens sont désormais des fonctionnaires selon une circulaire du 20 novembre 1948, nommés par le Préfet sur avis de l’administration de l’ingénieur en chef local des Ponts et Chaussées. Ils sont divisés en 7 échelons : le maître gardien qui transmet ses ordres ou ses instructions à des gardiens échelonnés de la 1ère à la 6ème classe. 

Je ne sais pas si à l’époque, en Corse, une telle subdivision était de mise. Ce que l’on sait en revanche, en Corse ou ailleurs, c’est que l’activité de gardien n’avait rien à voir avec les images idylliques ou romantiques de la littérature de l’époque. Et le dur métier de gardien de phares, fait qu’on le veuille ou non d’ennui et de solitude et partant, souvent ou parfois d’ivrognerie malheureusement, était à mille lieux des images que peignaient les romantiques de la fin du 19ème siècle vantant la fonction sacerdotale des gardiens de la nuit, guide des navigateurs dans la tourmente.

De fait, souvent, les gardiens exerçaient à côté de leur fonction de fonctionnaire des activités parallèles, souvent derrière des comptoirs de bars. Ce qui conditionna l’adoption d’une loi de 1853 qui limita sévèrement l’accès à la profession de gardiens : choix prioritaire entre d’anciens militaires et limites d’âge à 40 ans … . Auparavant en effet, c’étaient essentiellement d’anciens marins qui devenaient gardiens, et il leur fut même imposer une  » bibliothèque circulante des gardiens de phares  » pour – tel était le but recherché – les responsabiliser davantage ou tenter de les rendre  » un peu plus intelligents « . Mais, je ne sais pas qui de l’autorité supérieure ou du gardien avait la plus grande finesse d’esprit dans la mesure où cette bibliothèque dite circulante était essentiellement composée de livres sur la chimie ou la physique, si fait que nos gardiens, moins diplômés certes mais nettement plus vivants, parvinrent finalement à convaincre leurs supérieurs de leur livrer, à la place, la revue intitulée  » le journal du matelot  » autrement plus sympathique et abordable que les ouvrages imbitables sur la chimie organique ou moléculaire dont le commun des mortels n’a que faire. 

Il n’en reste pas moins vrai que les conditions d’accès à la profession de gardien devinrent de plus en plus difficiles – c’était déjà dans l’air du temps -, à telle enseigne qu’après 1920, l’accès à la profession se fit par examen ou concours, et cerise sur le gâteau, cet examen fut double à partir de 1950 puisqu’un examen était réservé aux gardiens de phares proprement dits tandis qu’un second examen était ouvert aux  » électro-mécaniciens de phare « . 

Notons donc qu’il a fallu tout de même près de cent années pour créer un corps de fonctionnaires tenant à peu près la route ou le cap. 

Mais cette profession a fait long feu, elle s’est quasiment éteinte avec l’avènement d’abord de l’automatisation – tous les phares de Corse sont automatisés, ils s’allument et s’éteignent automatiquement -, ensuite des satellites et GPS équipant les navires 

VI / Question alors. Faut-il regretter la disparition des gardiens de phares ?

Quand on relit les descriptions de la vie dans le phare des sanguinaires tel que l’a contée Alphonse Daudet dans les  » lettres de mon moulin « , et notamment de la vie des deux gardiens corses qui passaient leur journée à jouer au jeu de la scoppa, l’on a envie de plaindre ces pauvres gens. Et l’on comprend mieux que certains aient qualifié ce métier de purgatoire.

Je ne veux pas dire par là que les phares sont à rayer de la carte, n’en déplaise à certains oiseaux migrateurs qui, selon l’avis de spécialistes scientifiques éclairés, seraient déboussolés par ces lumières nocturnes. Ils présentent toujours un intérêt pour la navigation, même si cet intérêt est moindre par rapport au siècles écoulés, compte tenu de ce qu’un navire se dirige aujourd’hui par les satellites et GPS, bref par ses propres moyens.

Mais plus encore, il ne saurait être contesté que nos phares présentent un intérêt historique et patrimonial. Au point d’ailleurs que le phare de la Giraglia a été classé aux monuments historiques le 22 novembre 2010 par le ministère de la culture sur proposition de la Commission nationale des monuments historiques. Ce classement n’est certes pas une grande surprise, puisque ce phare avait été déjà inscrit sur la liste des monuments historiques par arrêté préfectoral du 11 février 2008, comme sa voisine, la tour génoise à la même date ( pour ceux qui veulent des précisions sur la différence entre classement et inscription aux monuments historiques, je leur suggère de se reporter aux lois des 31 décembre 1913 et 28 février 1997 : dans un souci de grande simplification, disons que la protection attachée au site classé est nettement plus importante ou contraignante tant au niveau de l’aliénabilité du bien qu’au niveau de son entretien ou des travaux que le propriétaire souhaiterait réaliser sur ce bien, la protection s’étendant aux abords immédiats du monument ainsi classé ou inscrit )

Sachez encore que le propriétaire actuel ou à venir de ces phares est principalement le conservatoire du Littoral. Ce point me paraît important, car dans le cadre du Grenelle de la Mer, l’Etat prend l’habitude de transférer la propriété de ses phares soit au Conservatoire du Littoral ( ainsi est-il du phare de la Giraglia ; ainsi en sera-t-il du phare de Senetosa à Sartène dont le transfert de propriété est programmé pour 2012, et encore du phare de la Pietra à l’Ile Rousse et celui de Pertusato à Bonifacio courant 2013 prochain ). L’autre partenaire de l’Etat est la Collectivité territoriale de Corse, à qui doit être transférée courant 2012 la propriété du phare des îles Lavezzi. 

Il est donc acquis que l’Etat cèdera la propriété de l’ensemble des phares corses dans un proche avenir. Certains ont contesté ce transfert de propriété, en y voyant un tour de passe-passe comptable bienvenu pour réduire la dette de l’Etat en ces temps de crise mais qui risque de grever les autres missions cruciales de l’organisme public. D’autres s’en sont réjoui, mettant en avant la politique suivie par le Conservatoire du littoral en Corse.

Afin de tenter de départager les protagonistes, relevons que le Conservatoire du Littoral, devenu le  » Conservatoire de l’espace littoral et des rivages lacustres « , est un établissement public administratif créé en 1975 qui a principalement deux fonctions : 1- lutter contre les excès de l’urbanisation ; 2- protéger et la préserver les terres ou propriétés ainsi acquises. Sous l’autorité du ministère de l’écologie et du développement durable, le Conservatoire a donc pour mission de  » compléter la protection du littoral par l’intervention foncière, en menant, après avis des conseils municipaux et en partenariat avec les collectivités territoriales, une politique foncière de sauvegarde de l’espace littoral, de respect des sites naturels et de l’équilibre écologique « . Et l’importance de ce conservatoire est telle que son domaine de compétence ne se limite pas au simple littoral, le littoral n’étant pas défini légalement en profondeur dans les terres, mais s’étend aux communes riveraines des lacs, aux estuaires, aux zones humides, aux secteurs géographiques limitrophes … etc, cette absence de définition légale du littoral étant quelque peu problématique dans la mesure où le conservatoire, ayant le pouvoir d’acquérir un bien immobilier à la suite de ventes amiables ou de préemption, a surtout le droit d’expropriation, le droit de propriété étant pourtant ne l’oublions pas un droit constitutionnel ( environ 5% du parc immobilier du Conservatoire provient d’expropriation ) 

Il demeure que, dans l’esprit des gens, le Conservatoire du littoral en Corse a une mission autrement plus noble que celle de la loi de 1986 sur le littoral. Si la loi littoral et sa fameuse bande des 100 mètres est une loi d’interdiction et de sanction, celle créant le Conservatoire empêche les constructions abusives ou subversives tout en protégeant et préservant l’environnement en y associant les collectivités, notamment par la création d’emplois au sein de cette collectivité.

23% du littoral corse est ainsi géré par le Conservatoire contre 11% sur le continent. Il y détient 18.000 hectares, répartis sur 45 communes et 64 sites, et l’objectif avoué est de parvenir à un parc immobilier de 32.000 hectares en 2050.

Est-ce un bien ? Est-ce un mal ? Ceci est un autre problème qui pourrait faire l’objet d’une discussion nettement plus poussée tant il est de grande actualité, puisque la Corse, dotée de 1.049 kilomètres de littoral au sens strict du terme, est actuellement confrontée à la problématique suivante :  » tout béton ou tout désert « . Et la question est actuellement de savoir si la loi sur le littoral ( loi du 3 janvier 1986 dont l’article 1er, devenu l’article L 321-1 du code de l’environnement, définit la finalité – préservation, protection de l’environnement, et dont la disposition phare est l’interdiction de toute construction ou extension dans la bande des 100 mètres à compter de la mer, hors les terres urbanisées ) doit ou non être aménagée par le PADDUC ( plan d’aménagement et de développement durable de la Corse ) compte tenu des objectifs et particularités géographiques locales. Certains déplorent un sous-aménagement criard du littoral et plaident pour un aménagement de la loi pour faire fructifier de manière raisonnée et responsable – c’est en tous cas ce qu’ils prétendent – le capital touristique de la Corse, d’autres font valoir au contraire que ce littoral ne doit sous aucun prétexte être touché, dans la mesure où le droit de construire est possible en continuité d’urbanisation dans le cadre de plans d’urbanisation.

De vives discussions opposent partisans et adversaires d’un développement urbanisé du littoral, car il faut bien reconnaître que la loi récemment adoptée sur le PADDUC ( loi du 5 décembre 2011 ) peut et surtout pourra à l’avenir prêter à confusion. A preuve, son étonnant article 4 ainsi libellé :  » le plan d’aménagement et de développement durable de la Corse peut préciser les modalités d’application, adaptées aux particularités géographiques locales « . Quel est donc le sens exact à donner à ce terme  » adaptées  » ? Quelles en seront les conséquences dans le futur ? Rappelons que le PADDUC, issu de la loi de 2002, n’a pas été voté par l’assemblée de Corse en juin 2009, compte tenu de ce que l’ancien texte conduisait à assouplir les dispositifs Montagne et Littoral dans le but de promouvoir le développement de la Corse sur le seul terrain du tourisme. Il ressort des travaux préparatoires de la loi que l’assemblée de Corse, suivie par le gouvernement, a souhaité que ce terme  » adaptées aux particularités géographiques locales  » soit supprimé de manière à éviter toute ambiguïté. Or, et à l’initiative du rapporteur de la loi, le terme a été maintenu dans la loi, tout en précisant que cela ne pouvait pas permettre à l ‘Assemblée de Corse de modifier à la baisse la loi sur le littoral. Lors des travaux préparatoires de la loi, il fut indiqué par le ministre lui-même  » Je tiens à apporter une précision très importante. Ce projet de loi n’apporte aucun changement à la loi littoral, même minime, ni directement ni indirectement, pas plus qu’à l’articulation entre la loi littoral et le Padduc tel que défini dans la loi du 22 janvier 2002. Il s’agit d’un engagement que le gouvernement a pris à plusieurs reprises devant les élus de l’île, c’est la loi de 2002 qui dispose que le Padduc peut préciser les modalités d’application adaptées aux particularités géographiques locales définies par les lois littoral-montagne. Selon cette loi, l’Assemblée de Corse peut fixer une liste une liste complémentaire des espaces remarquables. Cette liste se rajoute à celle fixée par la loi elle-même, mais elle ne peut la réduite « . Et le ministre d’ajouter plus loin en termes très explicites  » le PADDUC n’adaptera pas la loi littoral « .

Mais alors pour quelle raison le législateur a-t-il maintenu dans la loi le terme  » adapté aux particularités locales  » ? Alors que l’on sait ou que l’on devine que ce terme prêtera dans le futur à confusion, ambiguïté, contestation. Il aurait été plus simple de le supprimer ou d’inscrire dans la loi en caractères gras ou géants, comme dans les contrats d’assurance, que la loi littoral n’est pas adaptable. Dans 5 ans, 10 ans, 20 ans, quand surgira une difficulté, on ne souviendra plus ni des travaux préparatoires de la loi ni de l’engagement qu’a pu prendre tel ministre, et le juge administratif se contentera d’appliquer la loi telle qu’elle est libellée, et jugera nécessairement que l’adaptation aux particularités locales est possible puisqu’elle cette adaptation est expressément prévue par la loi. 

J’ajoute encore que la loi s’impose à tous, mais elle peut être souvent interprétée, parfois contournée ou malmenée, surtout lorsqu’elle prête le flan à interprétation. Quand on voit l’intérêt pécuniaire ou financier que peuvent présenter nos 1.000 km de côtes, quand certains redoutent une main mise de la mafia financière sur notre littoral, quand on voit les constructions qui ont fleuri à Sperone, à Porto-Vecchio ou encore celles qui ont été édifiées sur l’île de Cavallo, l’île des milliardaires ( bien que certaines de ces constructions soient magnifiquement intégrées au paysage ), l’on se dit qu’une vigilance accrue ne serait pas du luxe superflu. D’autant que nos élus – mais peut-on à tout coup leur jeter la pierre, le nerf de la guerre étant l’argent et les caisses communales devant être remplies – cherchent parfois à s’accommoder de l’interdiction de base imposée par la loi littoral. L’annulation par le juge administratif des PLU de Bonifacio, Sartène, Olmeto, Serra-di-Ferro, Porto Vecchio, Ota, Coti Chiavari … etc n’est-elle pas la preuve que les communes cherchent à adapter la loi en tenant de l’apprivoiser ou de l’adapter de manière trop énergique ? Le terme  » adapté aux particularités locales  » prête nécessairement à confusion car une adaptation peut aboutir à une plus ou moins grande modification, et, par définition, cette modification quelle que soit son importance pourrait toujours être reconnue comme légitime puisqu’elle n’est qu’adaptation à la loi.

Voici d’ailleurs ce qu’écrivait récemment l’association  » Deux Sevi environnement  » :  » Nul ne le conteste: les rivages corses sont remarquablement préservés, comparés à ceux de la Côte d’Azur ou de la Sardaigne. Le Conservatoire du littoral, créé en 1975, a pu acheter, quand il était encore temps, plus de 20% des 1 000 kilomètres de côtes, faisant échec aux projets immobiliers pharaoniques prévus dans les Agriates, le Sartenais ou la Testa Ventilegne. Malgré tout, depuis trente ans, l’urbanisation a explosé. Lotissements et résidences secondaires ont surgi sur les collines, à Porto-Vecchio, à Bonifacio, en Balagne, dans les golfes d’Ajaccio et de Propriano, sur la côte orientale… Les écologistes dénoncent d’innombrables infractions à la loi Littoral de 1986. « Nous n’avons pas les moyens d’attaquer tous les permis illégaux et l’Etat ne joue pas son rôle de contrôle », déplore le Collectif pour l’application de la loi Littoral en Corse, qui fédère une cinquantaine d’associations écologistes, syndicats, partis politiques nationalistes et partis de gauche. La loi Littoral, en effet, ne se résume pas à interdire les constructions dans la bande des 100 mètres. Elle protège aussi les espaces proches du rivage (jusqu’à la première ligne de crête) et les espaces remarquables par leur intérêt écologique. Dans ces zones, on ne peut pas, en théorie, construire de villa isolée. En théorie… Le Padduc, aux yeux de ses adversaires, risque d’aggraver cette tendance. Actuellement, les cartes auxquelles se réfèrent les tribunaux, en cas de conflit, sont celles de l’Atlas du littoral, dressé par l’Etat en 2004. Le nouveau plan, auquel les communes devront se conformer pour élaborer leurs plans locaux d’urbanisme, se substituera à ce pavé de 200 pages. D’où l’importance cruciale du texte proposé au vote de l’Assemblée et qui, à la demande des maires, « déclasse » de larges portions de littoral. La conseillère territoriale Stéphanie Grimaldi reconnaît que 7000 hectares d’espaces remarquables ont été supprimés et que la ligne qui délimite les espaces proches du rivage a été rapprochée de la mer pour mieux prendre en compte les réalités géographiques locales » …. il s’agit là ni plus ni moins d’une adaptation aux particularités locales.

Deux exemples parmi tant d’autres pour conforter ces difficultés, exemples récents puisqu’ils ont fait ce mois d’avril 2012 l’honneur de la presse locale.

Le premier porte sur l’annulation d’un permis de construire accordé à un habitant de Cagnano, dans le Cap corse, qui souhaitait édifier quasiment en bord de plage, en tous cas dans la bande des 100 mètres, une pizzeria-grill. Le permis a été accordé par la commune, sous le contrôle de la Direction départementale de l’équipement, et ce sont le tribunal administratif de Bastia puis la Cour administrative d’appel de Marseille qui ont annulé ce permis pour violation de la loi littoral, annulation prononcée à la requête de l’association Les Deux Sevi Environnement. Il apparaît donc que le maire a accordé le permis en adaptant la loi aux particularités de sa commune, que la DDE ne s’y est pas opposée et que les habitants de la commune sont restés muets ( ce qui se comprend, il ne doit pas être évident, dans un village de 200 habitants, d’attraire son voisin devant un juge … ) ; qui agit donc dans ces cas là ? Ce sont ces associations de défense de l’environnement, et heureusement qu’elles sont là, mais elles ne roulent sans doute par sur l’or, et une procédure judiciaire génère immanquablement des frais. Et ce que l’on peut regretter que la Cour d’appel, tout en rejetant l’appel de la commune, donc tout en confirmant l’annulation du permis, n’ait pas mis à la charge de cette commune des frais irrépétibles, destinés à rembourser le gagnant du procès de tout ou partie de ses dépenses. Ce sont les regrets qu’évoquait plus avant l’association Deux Sevi lorsqu’elle disait qu’elle ne peut attaquer tous les permis illégaux et que l’Etat n’exerce pas le contrôle qu’il devrait exercer. 

Un second exemple, plus pernicieux, dans lequel le tribunal administratif de Bastia a annulé un permis de construire d’un petit complexe hôtelier accordé tacitement sur le territoire de la commune de Bonifacio, sur le site remarquable de Rondinara. Pourquoi tacite ? La demande de permis a été déposée mais le dossier n’a pas été instruit dans les délais, et le permis a donc été accordé tacitement. Il apparaît donc que la commune ne s’est pas opposée à ce projet, ni l’Etat, bien que le Plan local d’urbanisme de Bonifacio de juillet 2006 classant le secteur de Rondinara en zones à urbaniser ait été annulé au motif que ces zones à urbaniser se situent dans le site remarquable de l’anse de Rondinara. Et le tribunal d’annuler ce permis tacite en donnant raison aux associations ABCDE et U Levante alors que la Commune s’évertuait à faire juger que ce permis était parfaitement valable et que les associations n’avaient aucun droit à agir pour la simple et bonne raison qu’elles ne peuvent exercer un recours à l’encontre d’un permis n’ayant pas été dûment déposé, instruit ni affiché … Surprenant moyen de défense !

VII / Cela étant, pour en revenir à nos phares desquels je me suis un peu trop éloigné, il est naturellement de bon ton qu’ils restent dans le domaine public. Il se dit que le Conservatoire du littoral gère convenablement les terres ou propriétés dont il est devenu propriétaire, associant les collectivités territoriales, donc la population, à la gestion de ces biens. Et quand on apprend que les phares de Senetosa et Pertusato sont devenus ou deviendront sous peu des refuges tout en assurant leur fonction première d’éclairer la mer, l’on ne peut me semble t’il qu’être d’accord avec cette politique de gestion. Quelle autre utilité, en dehors d’en faire des musées de la marine ou du phare, pourrait-on leur trouver ? Et l’on ne peut que féliciter la collectivité territoriale de Corse d’assurer, dans le cadre de la gestion du phare des Lavezzi, une fonction de protection d’oiseaux rares, avec au sein de l’enceinte du phare, un jardin botanique qui comprend plus de 240 espèces dont 40 sont protégées, rares ou endémiques. Qui pourrait en contester l’utilité ?

Il ne faudrait cependant pas que le Conservatoire soit l’arbre qui cache la forêt. Le débat  » tout béton ou tout désert  » est irrémédiablement ouvert, une dose de proportionnelle serait ici la bienvenue mais dans quel sens faudra t’il la faire pencher ? Aux élus de tous bords, aux maires, aux associations de défense de l’environnement, mais plus encore au peuple corse lui-même d’en décider …. 

 

 

Pour l’Accademia Corsa

Charles CICCOLINI

19 Avril 2012

Laisser un commentaire